CLAMEURS
- Universal Music (2007)

01 Prologue - Paroles Nues (Naked Talk)

03 Frantz Fanon 1952 (textes de Frantz Fanon)

 

Fort de France, le creuset musical, les musiciens amis, les bruits de la ville tropicale. Clameurs est la rencontre heureuse du souffle continu d’une trompette et d’un continuum de synthétiseur, dans l’étrangeté des timbres, la rigueur partagée d’une musique minimaliste et du bavardage insulaire, le tout enveloppé par l’assourdissante vitalité littéraire du lieu. CLAMEURS est, tout à la fois, musique et poésie.


REVEU DE PRESSE

« Clameurs ne relève pas du jazz, mais ne peut jaillir que de purs musiciens de jazz. C’est une œuvre de jeunesse, un souffle, une idée… »
Le Monde

« Et voici Clameurs. Dès les premières musiques on est pétrifié ».
« Un disque bouleversant ». « Musique, célébration de la liberté et de la poésie, Clameurs est une splendeur ».
Le Nouvel Observateur

« Jacques Coursil retrouve sa place parmi l’élite Jazz ». « Clameurs, son chef d’œuvre ».
Libération

« Clameurs est un album d’une rare beauté »
Les Inrockuptibles

« Dense mais dépouillé » (rating 4 clés).
Télérama

« Clameurs, le chant bouleversant de la trompette mêlé à la puissance incantatoire de la parole poétique ». « Avec son nouvel opus, Clameurs Jacques Coursil confirme l’absolue singularité d’un créateur définitivement hors norme déployant, avec beaucoup d’autorité et de cohérence formelle, une esthétique de l’hybride synthétisant de façon magistrale les grandes passions de son existence ».
Jazzman

« Clameurs est le projet d’hommes libres, le fruit de leur union sensible et décomplexée, un disque de méditation savante et sans prétention pathologique qui caractérise notre temps. A consulter de toute urgence ».
Jazz Magazine

« Formidable mélodiste ». « Clameurs devrait achever de ranger son auteur du côté des figures mythiques du monde de la musique ».« Clameurs, manifeste qui n’en a pas le nom, mais qui remet quelques idées à l’heure du tout-monde ».
Vibrations

« Météore magnifique ». « Les élans fougueux de l’instrument, suivi du sillage brûlant des mots scandés, provoquent un plaisir fou : celui de la prise de conscience ».
« Bouleversant »
FNAC.COM

« Clameurs est un puits de matière à panser les plaies du monde, une source vive de musiques ».
Le Monde Diplomatique

« Dans Clameurs, la liberté s’énonce sobrement, conquise dans l’agencement inouï des arts poétiques et musicaux, affirmée pour que des chaînes d’hier, tous soient délivrés ».
Politis

« Le dernier disque de Jacques Coursil est un vrai bonheur de sons et de verbes ».
« Clameurs ne s’écoute pas seulement. Le disque invite à la méditation ».
France-Antilles

« Clameurs, Un chef d’œuvre, un évènement ! »
Antilla

« Coursil est Antar, la lumineuse réincarnation de l’amant de Aba, du chevalier à la lèvre fendue ».

Frantz Fanon 1952

Livret Jacques Coursil tiré de Peau Noire Masques Blancs par Frantz Fanon
Editions du Seuil Paris 1952, English translation, Natalie Melas

OUI,
L’homme est un OUI.
Mais c’est un NON aussi.
Non, au mépris,
Non, au meurtre de ce qu’il y a de plus humain dans l’humain : la liberté.

Des tonnes de chaînes,
des orages de coups,
des fleuves de crachats
ruissellent sur mes épaules.

Je sentis naître en moi des lames de couteau.
Et plus violente retentit ma clameur.
Eiah !
Je suis nègre.

Mais je n'ai pas le droit de me laisser ancrer.
Non !
je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine.
- pas le droit,
de souhaiter la cristallisation
d’une culpabilité
envers le passé de
ma race -
Dois-je me confiner
à la répartition raciale de la culpabilité,
Non, je n'ai pas le droit d'être un Noir.
- je n’ai pas le droit d’être ceci ou cela…
Le Nègre n’est pas, pas plus que le Blanc.
Je demande qu'on me considère à partir de mon Désir.
Je me reconnais un seul droit :
celui d’exiger de l’autre
un comportement
humain.

Le malheur et l’inhumanité du Blanc
sont d’avoir tué l’humain
quelque part.
Le malheur du nègre
est d’avoir été esclave.
Mais je ne suis pas esclave
de l'esclavage
qui déshumanisa mes pères.

Je suis homme
et c'est tout le passé du monde
que j'ai à reprendre.
- la guerre du Péloponnèse
est aussi mienne
que la découverte de la boussole.
Je ne suis pas seulement responsable
de Saint-Domingue -
La densité de l'Histoire
ne détermine aucun de mes actes.
Je suis mon propre fondement.

Exister absolument.
Je n'ai ni le droit ni le devoir
d'exiger réparation
pour mes ancêtres domestiqués.
Pas le droit de me cantonner
dans un monde de réparations rétroactives.
Je ne suis pas prisonnier de l'Histoire
Il y a ma vie prise
au lasso de l'existence.
Il y a ma liberté.Il n'y a pas de mission Nègre ;
Pas de fardeau Blanc
pas de monde blanc
pas d'éthique blanche,
pas d'intelligence blanche.
Il y a de part et d’autre du monde
des humains qui cherchent.

Ô mon corps,
fais de moi toujours
un homme qui interroge !

Frantz Fanon
from Black Skin White Masks



YES.
Man is a YES.
But also a NO.
No to contempt.
No to the annihilation of what is most human in the human:
freedom

Tons of chains,
storms of blows
rivers of spit
stream over my shoulders.
I felt knife blades bristling within me
And my clamour resounded more violently

Eiah!
I am black.
But I do not have the right to let myself be entrenched.
No!
I do not have the right to scream out my hatred.
--no right
to wish for the crystallization
of guilt
about the past of
my race—

Must I limit myself
to the racial apportionment of guilt.
No, I do not have the right to be a Black
--I do not have the right to be this or that…
Black is not, any more than White is.
I ask that I be considered from the standpoint of my Desire

I claim one right only:
the right to expect from the other
a conduct that is
humanThe calamity and the inhumanity of the white man
are to have killed the human
somewhere.

The calamity of the black man
is to have been a slave.

But I am not the slave
of the slavery
that dehumanized my forefathers
I am a man
and it is the history of the world in its entirety
that I must reclaim
--the Peloponnesian war
is as much mine
as the discovery of the compass.
I man not answerable only for
Saint-Domingue—

The density of History
determines none of my acts.
I am the core of my own root.

To exist absolutely.
I have neither the right nor the obligation
to require reparation
for my domesticated ancestors.
No right to restrict myself to
a world of retroactive reparations.
I am not prisoner of History
There is my life caught
in the lasso of existence.
There is my freedom.

There is no Black mission
no White burden.
no white world
no white ethic
no white intelligence
In every part of the world
there are human beings who seek. O my body,
make of me always
a man who questions!

Translated into English by Natalie Melas
Jan-Feb 2007

 

Le cri de l’esclave, de l’opprimé, s’étouffe dans sa gorge. S’il crie, on le bat, il est mort - le cri à pleine voix est le privilège de l’homme libre. Dans la langue des poètes , le cri noué est s’est mué en écrit. La clameur du poète Monchoachi est un « wélélé rauque ». « J’ai dans la bouche un arbre à silex, un arbre à conques, à kapok, à calalou, un arbre à paupières de corail, à paupières de Guinée ». Le jeune Frantz Fanon écrit en 1952, « Non ! je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine». « Depuis longtemps déjà, le cri est sorti de ma vie ». Antar (525-615), grand poète et héros légendaire de l’époque préislamique est un esclave noir « à la lèvre fendue ». Par sa bravoure Il devient Abû al-Fawâris (Chevalier des chevaliers). Dans sa passion malheureuse pour la belle Abla qui lui sera toujours refusée, il restera malgré ses exploits le plus humilié des hommes.« Ignorants, chante-t-il, ils blâment le noir de ma peau». Son épopée est une des plus belles Mu’allaqât – odes suspendues à la Kaâba - de la littérature arabe. « Le cri, écrit Edouard Glissant, est une névrose fertile et cadencée du silence - une racine avortée - nos voix s’enfoncent, terrées sans écho ».
Les quatre oratorios pour trompette et voix qui composent CLAMEURS, restituent dans leur langue (créole, français, arabe) ces poètes du cri du monde. Mais cette clameur n’est ni plainte ni haine. La trompette entend et souffle des paroles nues. C’est un tambour à bouche, un instrument d’appel. « Dans ce monde où les choses font mal, écrit Frantz Fanon, la vérité n’a pas besoin d’être jetée à la face des hommes ». Il faut la chercher et la chanter : la musique est son lieu.

Université de Tunis
The slave's cry, the shout of the oppressed, strangles in his throat. If he cries out, he's beaten, dead – the shout is a free man's privilege. "These are words I will say, not cry; the cry went out of my life a long time ago." When he wrote Black Skin, White Masks in 1952, Frantz Fanon was twenty-seven. Edouard Glissant, L’Archipel des Grands Chaos. The tight cry of the oppressed has been transformed into words, writings. It can be heard as "an absence that quivers at a cry". In the depths of this absence you can hear the echoing clamour of the shackled poet, his "raucous we-le-le", Monchoachi: "In my mouth I have a tree of flint, a conch tree, one of kapok, callalou, eyelid of coral and Guinea." Antar, finally, the 6th century hero and sublime poet, to whom love was always refused because he was the son of a slave, because he was black: "Through ignorance, they see darkness in the black of my skin – yet in adversity my ardour is that of a thousand free men." A pre-Islamic poet, it was Antar who left the strongest imprint on the Arab tongue: "My mood is suave when I am not oppressed; but if I am oppressed my rebellion knows no bounds". The four suites in CLAMEURS restore the world-cry of these poets in their own tongues, French, Creole and Arabic.
The clamour of the world is neither lament nor hate nor shame except, perhaps, that of ignoring it. Glissant: "Gradually, and in great pain, western man will have ceased to believe that he lies at the centre of what he is." Fanon: "In this world where things hurt, truth has no need to be flung in people's faces." This truth has to be sought out and sung, for its place is in music. Glissant: "Those who make music resound, naked in the wind, can hear speech break." In these four oratorios, the trumpet hears and blows naked words; here jazz continues its path towards "the unknown in words", towards "the animal-musk warmth of chaos." Fanon: "No! I have no right to come and shout my hatred." Monchoachi: "Enough of taking Man to task for the misdeeds of human beings!" The trumpet plays its role as a mouth- drum; it is the instrument of appeal.